Sur le phénomène « addict » : essai d’interprétation à propos de la résistance aux mutations d’une néo-réalité.
Psycho-criminologie et psychopathologie. Alcoolisme. Toxicomanie. Violences sexuelles.
Décembre 2009
LM Villerbu – ICSH-GISCRIMSO
Préambule
Dans une conception libérale ou néo libérale de la médecine et du soin rien n’a été plus difficile que de passer aux propositions s’organisant autour de « effet contrainte». Les recours au code de la Santé Publique et au Code Pénal ont de manière régalienne, en France, permis de faire bouger les choses. Entendons par les institutions et leurs agents.
Trois grandes lois ponctuent cette histoire des dangerosités encadrées : celle de 1954 sur les soins aux alcooliques dangereux, celles de 1970 à propos des toxicomanes et du dépassement de la simple réponse pénale, celles de 1998 sur les agresseurs de violences à caractère sexuel. Il est très probable que c’est aussi le passage de la qualification « chronique » à celle « d’addiction » qui a autorisé cette bascule : qu’il y avait « la dedans » autre chose que de la mauvaise volonté, de la volonté défaillante…et bien plus d’entrainement, d’encouragement ou de renforcement historiques, de compulsions déterministes…bref de maladif. Le maladif devenant déterminant il devenait alors possible d’en trouver une parade. M. Foucault l’explique avec une rigueur toujours aussi claire dans le temps ; le nôtre, ou l’on aurait plutôt tendance à attendre d’une référence neuro-biologique ce qui est et reste quand même effet d’histoire et de gouvernement des hommes par les hommes.
Retenons au passage que cette histoire des mutations repose bien sur un concept issu de la première psychologie des facultés. Si aux traités des vices et des vertus, aux traités des passions morales s’est substitué dans un temps premier une psychologie des facultés, il faut bien tenir compte que dans ce passage à une construction au delà de la morale comme fondement du monde nous sommes allés chercher dans des facultés (de l’âme), la volonté par exemple, un succédané susceptible d’être objet d’expérimentation. Et de la volonté forte ou faible nous avons recréé le concept de responsabilité psychologique, trop vite confondu avec ce que la langue juridique énonçait comme responsabilité pénale. De là sans doute cette consanguinité morbide qui a fait de l’une un succédané de l’autre au lieu de se garder radicalement et par expérience, des champs différents. De là sans doute aussi l’attente faite à la psychiatrie de dire la responsabilité dont l’absence renvoie aux articles 64 de l’ancien CP au 122-1 de l’actuel CP… mais aussi l’embarras dans lequel tout un chacun se trouve aujourd’hui devant ce qui n’est pas absence mais manque. Si la chose avait été réglé partiellement et historiquement, par l’invention de la monomanie et des demis-fous ou des demis-responsables dans une conception du libre arbitre a priori nos conceptions sémiologiques et psychiatriques structurales ne peuvent plus donner les réponses ad hoc. Et l’on contraint aux soins ceux dont il est dit qu’ils ne sont pas malades… .Malades des conditions et des biais par lesquels nous donnons une représentation da la maladie « psychique ». Qui n’est quand même, elle aussi, qu’une fiction ou une donnée provisoire d’expérimentation.
Propositions
La contrainte autorise aux soins définis comme veille dans la mesure où ce fait demande émane d’un tiers interdicteur. Quel est alors la fonction de ce tiers interdicteur ? Son statut ?
Ce n’est pas au niveau psycho- social que nous chercherons et trouverons une réponse dans la mesure où nous ne nous situons pas dans le registre de l’imitation.
Si le postulat est « tout se transforme », il faut admettre une opération psychique de transformation dont les clés sont à chercher au-delà de la situation elle même. Freud a eu sur cela, dans le quotidien de ses patients, une réponse toujours empruntable si l’on accepte de considérer que les frontières entre la vie psychique consciente et inconsciente sont poreuses, ou bien encore si l’on accepte de considérer que sur chaque pensée veille de toute part une foule(« foultitude ») d’autres pensées qui sont comme autant d’esquisses et de traces d’histoires sans récit parce que sans cadre pour en donner la mémoire : d’émotions qui ont contribué à gestaltiser une présence au monde, soutenues économiquement par ce qu’une métaphore désignait comme auto conservation et qu’une prévalence sociologique historique a nommé libido (plaisir, désir, envie, répétition…) bien en deçà de toute relation d’objet.
Ce tiers interdicteur : un rival, une réification. Ce qui en créant du manque et/ ou de l’absence s’est trouvé figurable dans ses deux extrêmes : une hallucination négative (il ne se passe rien, il n’y a rien) une hallucination haïssable (il s’est passé que…l’absence et/ le manque ont pris figures)
Dans le phénomène addict, l’hallucination avec ses extrêmes, s’est incorporé (fondu) aux états rendus possibles par l’effet du toxique. L’hallucination « addict » rejoue à la fois la naissance de l’autre et le refus qui lui est opposé. C’est l’impossible passage du principe plaisir/déplaisir au principe de réalité, i.e. de la castration : du manque, et /ou de l’absence, une fois pour toutes. L’orgasme a comme vocation, à la suite des érotismes infantiles, de rejouer la disparition du tiers interdicteur. Il n’en tient pas toujours ses promesses et ses vacations. « Autrui » ne dit qu’une seule chose : l’impossible auto-satisfaction ou l’impossible auto engendrement. La prise de produit ou le libre cours laissé à la violence d’attaque extrême d’un autrui … est la mise en scène ratée d’une tiercéité, faute d’accrochage au quaternaire de l’étant anthropologique : le vu (1) se voyant(2) voit(3) de son absence(4). Sans doute est-ce à chacun des vecteurs de cette quaternairité que se fixe dans leur variation finie ceux qui font des effets de l’addiction une forme de recours et d’enfermement. C’st sans doute aussi pour cela que les différents formes de médiation échouent trop souvent lors de leur prise en compte, dès qu’il s’agit de phénomène addict, que ceux ci transforment le milieu interne ou le milieu externe.
Hypothèse
La contrainte posée et suivie, évaluée prend la place, se substitue aux effets-causes des hallucinations et comme telle soulage d’une décision subjective qui renverrait à décider tout autant de sa propre disparition que de la disparation de l’autre.
En s’étayant sur un tiers qui peut demeurer extérieur, en restant un anti, un ennemi haïssable et ambivalent, une création du social, accepter de se priver a le sens d’un devoir se rendre. On y rend les armes et l’on y trouve un nouveau contenant psychique. D’où la fragilité de cette reddition et l e retournement « impulsif » des liens du cadre : là où chacun se rend (va… et dépose les armes…à…) est le lieu émergent des hallucinations.
Perspectives
Winnicott écrivait que la où la culpabilité de l’adolescent était à ce point cruelle et auto destructrice il fallait lui soumettre des responsabilités.
Analogiquement là où la raison ne tient pas compte de ses propres intérêts et il en va de même pour ceux qui ont adopté l’addict comme recours, l’étayage doit se penser sur du rationnel (relationnel, pédagogique…) et non essentiellement sur une histoire que l’inconscience à remodeler. Un étayage psycho-éducationnel est une autre voie, en ne cherchant pas à le rendre exhaustive et en ne tombant pas dans les pièges du tout ou rien.
Ce qui ne pet aller sans évaluation du travail entrepris, non pas parce que demain est risque, mais parce demain fait miroir et renvoie à cette structure première de l’expérience de l’autre.