Rennes, 4 octobre 2010
Il est aisé de concevoir que l’objet ainsi posé souffre déjà de multiples déterminations aux risques du lecteur. [1]
D’une part parce que la polysémie des termes en rendant possible toutes les confusions peut donner à croire que le crime est dans l’opinion courante ce qu’il est dans le code pénal. D’autre part parce qu’en attribuant au féminin une forme de susbstantivité et au delà de l’adjectivation donner à penser que la rupture ne s’est pas opérée avec l’illusion positiviste du XIXe qui accréditait à la femme une nature et une autre nature à l’homme. De là à se laisser aller à croire qu’il y aurait des criminels essentiellement féminins à côté de criminels essentiellement masculins il n’y a qu’un pas. Plus encore qu’il y aurait une spécificité dont le genre serait la cause.
Deux écueils sont posés là, au devant de la scène à penser. Qu’il puisse exister un en soi (en oblitérant tout contraste, i.e. toute différence sexuelle. Non dans ce qu’est cette différence mais dans le rapport qui crée la différence, et l’autre, de croire que l’attribution d’un genre (le féminin/le masculin) puisse être une donnée naturelle et non une construction structurale que les dispositifs et les montages sociaux s’approprient sur un autre rapport différenciateur que celui de la différence des sexes.
Du sexe et du genre, rien ne s’y confond. Et vouloir attribuer quelque substantivation à l’un comme à l’autre n’est qu’une forme de rationalisation des rôles sociaux, une idéalisation morphologique, un fonctionnalisme psychique qui réifie au profit d’un pouvoir (de l’un sur l’autre, de l’un ou de l’autre) les constructions sociales. Rationalisation d’un coté et de l’autre, apprentissage des rôles sociaux, comme des positions psychiques de ce qui du féminin et du masculin ne se confond pas avec le sexe et trouve à se dire dans le genre. C’est, dit S. Lesourd affirmer la bi sexualité psychique[2]. Mais encore et bien au-delà, le féminin et le masculin, espaces sensibles de découvertes dans le temps des adolescences, sont de façon radicale et douloureuse le point de non retour d’un exil sans cesse remis en question, que les sexualités comportementales offertes en publicité ne cessent de requestionner dans une formule saisissante : non pas ou non plus, qui est l’autre, qui je suis, mais que dit et exprime cette jouissance imaginaire et différenciatrice dont l’un comme l’autre, l’un de l’autre, sont exilés ? Quel en est l’alchimie dont l’acquisition pourrait se programme ? Point aveugle où sexualité et pouvoir comme données sociologiques fusionnent, où sur le plan psychique se remet en question la division fondatrice d’un je devenu à jamais exclu de toute forme ou gestalt visible et susceptible d’être possédé : l’aître et l’être de l’autre sexe/genre[3].
Nous le savons mieux aujourd’hui le droit est genré (une femme ne se traite pas pénalement, ni médico-socialement comme un homme). Nous savons mieux aujourd’hui les essais de faire disparaître la différence de genres dans le code pénal puisque nous sommes capables de les faire ré émerger en usant de notions empruntées à la psychologie. Le déni de grossesse est en « faveur ( ?) » de la femme et peut toujours apparaître comme le retour d’un refoulé de ce que le code a fait disparaitre en oblitérant l’infanticide. De la même manière qu’en oblitérant les effets du pouvoir des hommes dans une société élaborée sur le rôle sacré d’un souverain, seigneur et maître… le savoir social avait oblitéré tout aussi bien les agressions sexuelles intrafamiliales et paternelles que les avatars psychiques et sociaux des femmes que l’on a pris aujourd’hui l’habitude de dire qu’elle « souffre » d’un syndrome de femme battue à la maison, d’un syndrome de harcèlement sexiste ou sexuel à l’entreprise quand tout ceci ne vient pas plus tard se confondre avec le harcèlement moral, rendant encore plus difficile la différence à faire ( pour l’expert !) d’un dommage psychique et d’un dommage moral. Au point que les violences dans un contexte conjugal soient devenues des violences conjugales, dénonçant socio-pénalement l’homme en tant que sexe et genre comme le responsable et fondateur.
Sexe et genre ne cessent de poser problème. La découverte de l’un n’est pas la découverte de l’autre : et l’on ne peut même pas avancer avec certitude que l’un précéderait l’autre, une fois pour toute, dans l’échelle des temps de développement si ‘on ne confond pas celle-ci avec l’accès à une émergence structurale. On ne peut même pas affirmer que leur émergence le soit une fois pour toutes : la pathologie d’une part, les déviances paraphiliques d’autre part en contrediraient l’illusion. L’on voulait croire « les femmes et les filles » objets essentiels des rapts de jouissance, on découvre les temps souterrains et occultés des violences à caractère sexuel faites aux garçons, violences dont les femmes et les filles sont également les auteurs. Marie Andrée Bertrand pouvait écrire avec une redoutable pertinence en 1979, dans son ouvrage La femme et le crime, « ce livre est consacré à un non phénomène, l’absence des femmes de la criminalité officielle », et se poser la question du sens que peut prendre cette absence. Robert Cario, plus tard, au compte de ses travaux de statistiques pénales écrivait, « la femme résiste au crime », Resnick en 1970 en faisant l’inventaire des femmes auteurs d’infanticides réitérés ou/ de néonaticide à répétition ne trouvait dans la littérature que quelques cas…Vronsky décrit en 2007 la position toute spécifique et méconnue au cours de l’histoire des femmes « sérial killers » et parmi celles-ci, l’actualité nous montre du doigt la réitération d’actes définis comme criminels ( le plus souvent), sur des nouveaux nés.
Sexe, genre et criminalité. Encore faut-il que le crime soit identifié pour être objet de sanction pénale et non seulement l’objet d’une réprobation morale. Si tant est qu’il ne se donne pas à voir mais qu’il est bien une construction sociale des pouvoirs, alors nombre d’eux ne sont jamais portés à la connaissance et sans doute encore, nul ne doutera que les temps changeant, ce qui ne l’était pas peut le devenir et inversement.
Aurait-on les crimes que nous méritons ? Les criminels(les) que nous construisons ou engendrons ? Oui, si l’on s’accorde à dire que les positions sociales genrées, imparties aux uns et aux autres sont, dans le temps, des opportunités et des formes réactionnelles qu’empruntent les agirs criminels. Les normes et valeurs sociétales sont du fait même de l’histoire de leur apprentissage, provocatrices. Dès que le temps de la référence à la « naturalisation » se trouve dépassé, il ne reste plus que celui des opportunités et de notre capacité à compter les occurrences, les incidences des facteurs facilitant le crime ou au contraire des facteurs de protection contre le crime. Parler de dangerosité devient un vain mot et une vaniteuse prétention, suspendu à des a priori qui ne disent pas. Restent les vulnérances qui font de l’un, tantôt un infracteur, tantôt une victime de l’infraction. Restent les cultures du risque pour lesquelles la logique assurantielle (la culture du cumul) a pris le pas sur l’étude des vecteurs intermédiaires et de leurs effets les uns sur les autres. Ce qui nous amène à raisonner le crime, dans ses multiples facettes et acteurs, comme une pratique infractionnelle de soi, de l’autre et du monde[4], (les atteintes aux biens, aux personnes et à l’état) position par laquelle nous pouvons résister, chercheurs et praticiens, à tout réductionnisme (nominalisme/positivisme) tant psychologique, sociologique que juridique. Et poser le renouveau d’une pensée criminologique.
Si l’on s’abstrait du naturel, genre ou sexe ne peuvent expliquer la délinquance portée par les femmes versus hommes, il en est de même pour les hommes versus femmes. Une solution s’esquisse : ce serait le ratage de l’accès au genre et au sexe dans leurs dimensions structurales (et non figuratives) qui devient motif de crime et enveloppe de crime. La figuration sociale en est l’enveloppe : le moi sur lequel le crime s’exerce, une surface qui aurait perdu sa troisième dimension : la tiercéité. C’est le « moi du « je qui est en cause et en question, le moi du toi !
La fréquence de certains crimes plus que d’autres n’est plus qu’une redistribution du jeu social, une réification de ce jeu où l’on énonce alors la dimension narcissique essentielle, sous la forme d’un quasi essentialisme : hors histoire des personnes et des environnements. Nous disions plus haut que la notion de déni de grossesse venait à point re questionner les tabous liés au sexe et au genre ; son usage dans un contexte pénal revient à faire abstraction du milieu, i.e. de l’indivision absolue et première, puisque la responsabilité pénale est individuelle. L’on en dirait autant du syndrome de Münchhausen par procuration ou du syndrome des femmes battues quand on oublie que pour l’actualiser, il faut au moins être deux dans l’indivision. Que dire alors du couple homicide-suicide, filicide-suicide… sinon admettre qu’ils sont trois, sans tiercéité !
On sait les étapes de construction de la victimologie, nous en avions distingué quatre, dont les objets, dans le temps se déplaçaient[5]. Cette histoire trace le parcours d’une typologie des victimes interprétable sur le plan sociologique ou intra psychique jusqu’à admettre la non passivité essentielle de la « victime » à la condition de s’abstraire des éléments matériels, moraux et intentionnels de la scène du crime pour concevoir que ce qui compte n’est pas le fait, ou l’événement, non plus que l’après coup qui cherche son identifiant, mais ce que le fait engendre comme découverte inaugurale et parfois intolérable sur soi-même, un monde en abymes pour reprendre l’expression de C. Balier, au point d’en être intoxiqué, dans un rapport bi axial et réversible, actif, victimant/victimé. Syndrome d’accommodation (!) chez la victime désignée sociologiquement, au point que le silence qui la ou le saisit est difficilement compréhensible ou entendable, parce qu’une forme de rationalité consiste à penser un lien entre un mobile et ses conséquences au lieu que ce soit les maillons intermédiaires sollicités dans l’indivision du sujet du moi, du toi et du moi, et médiateurs qui « échangent entre eux ».
On voit ce que rate ce syndrome. L’accommodation est passive et non une forme de compensation structurale, d’essai de sortir d’une impasse psychique axiomatique. Un tel syndrome rate le sursaut vital qui paradoxalement fait de l’indivision (psychique) des personnes et des milieux, une œuvre à part entière, grevée, hypothéquée qui ouvre aussi bien à la délinquance qu’à la somatisation, à l’exhibition qu’à l’aveuglement. Impulsif ou détaché dans chaque cas, le sujet échappe à ce qui viendrait rouvrir le temps et l’espace de la séparation.
Devrait-on tenir compte de la fréquence des faits et de leur distribution sociologique selon les genres et sexes ? Oui si l’on souhaite avoir un état des normes et des valeurs sociétales, de leurs recompositions ou de leur sanctions. Oui s’il s’agit de prendre acte des rôles impartis aux unes et aux autres. Le traitement pénal est un fait d’environnement, il y a une économie sans cesse réévaluée des politiques pénales et socio-morales, des politiques sanitaires et sociales. Mais tout ceci ne peut constituer une quelconque explication de la criminalité comme pratique de soi, des autres et du monde. Cela vient répéter s’il en était besoin que le crime est une construction juridique et que son traitement obéit à d’autres économies que les économies subjectives de celles que l’on énonce comme criminelles. La superposition des deux économies, socio-juridiques et subjectives n’est jamais que la suite d’une méconnaissance des objets propres des deux économies, traduit un désir d’absolu, un déni d’altérité.
Qu’énoncerait le dit « déni de grossesse » ? Sinon un déni du don venant de l’autre pour l’indifférence (!), l’ambivalence, la haine ou la destruction qu’il provoque ? Sous cette posture il y a quelque analogie entre ce déni là et le couple suicide-homicide, comme la dimension incestueuse des actes d’agressions sexuelles intrafamiliales de l’homme comme de la femme, actent et corporéisent les dénis du don de l’autre (par confusion des genres et des générations…).
Faut-il penser le délit de la femme qui s’actualise dans des postures faites à et pour l’homme (bandes, agressions… comme une « hystérisation » de celle-ci, ou conclure que la sémiologie invoquée se moque de son auteur ? Et dans ce cas, faut-il penser l’endettement des « hommes » comme une hystérisation sur le modèle des délits fréquemment rencontrés du point de vue de la femme ? Qu’est-ce qui d’un côté comme de l’autre ne s’échange pas, ne fait ni réciprocité ni mutualité, ni don, ni dette.
Que les rôles attribués aux femmes et aux hommes posent des problèmes différents susceptibles de résolutions différentes, soit. Mais, dans ce contexte, l’objet en cause est un ordre sociétal à la composition fragile du fait même des normes et valeurs qui le construit et qu’il défend. Que chacun d’entre nous, engagé dans ses processus transférentiels et contre transférentiels soit en mesure d’exiger ou de témoigner d’un petit plus ou d’un petit moins, soit. Mais cela ne peut valoir comme explications.
La criminologie positive s’organisant (et d’ailleurs à l’époque, comme l’aliénisme) sur une référence, la dégénérescence susceptible d’être objet matériel de constations, exigeait des productions catégorielles pour donner sens à la trace. La criminologie contemporaine bouscule allégrement nombre d’idées reçues et surtout contre vents et marées, elle ose, sortant des principes, se faire empirique et pluridimensionnelle. Le XXIe siècle a proposé de faire de l’histoire subjective un modèle d’explications/compréhension unique et l’on a jamais été loin de penser le « thérapeutique » au lieu de « l’éducatif », sinon de faire de celui-ci une sous classe du premier. Paradoxalement, l’environ, le voisinage, l’environnement et les réseaux reviennent chargés d’histoires et des histoires de corps, de sensations et d’émotions.
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[1] Le Bodic C. Villerbu LM., (2009) Questions d’épistémologie dans la criminologie consacrée aux femmes. Revue de psychologie clinique. Cédric Le Bodic(2006), Deux paradigmes pour une rencontre manquée. Approches de la différence des sexes et leur mise en examen exploratoire en criminologie. Thèse Rennes 2. Le Bodic C., (2008) Hétérotopies conjugales et violences de l’intime : le couple pris comme dispositif foucaldien. Lecture épistémologique et clinique des violences conjugales. Post doc. Institut de criminologie et Sciences Humaines, Rennes2. Genuit P., (2007) La criminalité féminine : Une criminalité épicène et insolite. Réflexions d’épistémologie et d’anthropobiologie clinique ». Thèse, Université Rennes 2.
[2] Lesourd S., Adolescences. Rencontre du féminin. Eres. Toulouse.
[3] Villerbu L-M, (2004) La radicalisation du paradigme pénal de la responsabilité et la création d’un pseudo-autre, une double réification à la démesure du sujet. pp.407-423 in Giot J., (dir.) Résistances au sujet (Résistances du sujet. Presses universitaires de Namur. Namur.
Marty F., (1999) Penser la latence dans l’adolescence avec A. Green. Erès. Toulouse. Green A. (1993) Le travail du négatif. Editions de Minuit. Paris
[4] Villerbu L-M. (2008) Vers une psycho-criminologie intégrative, Les 10 ans de la loi de 1998. Colloque Nantes. Faculté droit. Laboratoire droit et changement social. Site villerbu-crimino.fr et site crimso. Villerbu L-M. (2010) Le psychologue, le Crime et le criminel, in Smith J., Coutanceau R. AFTVS (2010) La Violence sexuelle. Approche psycho-criminologique. Dunod. Paris. Egalement, http://www.sites.univ-rennes2.fr/crimso/
[5] Villerbu L-M, Moulin V., Interaction victime agresseur : un choix ? pp.267-275. Pignol P. Villerbu L-M, Nouvelles réflexions sur le couple pénal de victimologie. pp.261-267. In Senon, J-L. Lopez G., Cario R., et al. (2008) Psycho-criminologie, clinique, prise en charge, expertise. Dunod. Villerbu L-M, Pignol P., Approche sérielle en victimologie familiale. pp. 259-266.In Crocq L. (2008) Traumatismes psychiques. Dunod. Paris. Villerbu L-M. D’une formule embarrassante à une autre : l’interchangeabilité des postions d’agresseurs et de victime. A propos de « la victime est elle coupable ?’pp.43-61. In, Cario R. Mbanzoulou P., (2004) La victime est-elle coupable ? L’Harmattan. Paris