A propos de mutilations et survivances
Deux annonces sécuritaires
Tout propos doit pouvoir s’analyser sous deux registres : l’effet d’annonce et l’annonce elle- même. L’effet d’annonce en ce qu’elle est une stratégie poursuivant un ensemble d’objectifs, consciemment ou non, mais dans tous les cas désirant pour un autre et suscitant chez celui-ci des formes réactives. Ce qui suppose une analyse stratégique raisonnée. L’annonce elle-même en tant que contenu d’information esquissant un fond de monde spécifique parmi d’autres fonds de monde possible, le contenu de l’annonce est alors ce qui fait office d’attrape tout. Ce qu’en un autre temps et pour d’autres raisons les amérindiens et d’autres, ont pu appeler un attrape cauchemar.
C’est en ce sens que, coup sur coup, en assistant à deux annonces dont les contenus soulèvent des positions limites nous devons envisager de donner un profil susceptible d’être objet de débat, moins sur le contenu que sur les utopies ou les idéologies qui sont ainsi interpellées : l’annonce d’une castration qui irait aux limites du soma et de la mutilation irréversible, l’annonce d’un interdit légalement incontestable ( donc bien autre chose qu’un règlement) de la présence de mineur de justice dans la rue après une certaine heure. Corps et espace mutilés, un même trajet, soutenu par des avances statistiques que personne n’est en mesure de bien contrôler. Ainsi sur de telle base s’instaurerait « un couvre feu ciblé sur des mineurs délinquants de moins de 13 ans », et qui aurait pour effet de leur interdire toute déambulation au-delà d’une certaine heure, non accompagnés d’adultes.
Certes ce sont deux annonces au contenu différent mais elles sont un sens commun pour peu que l’on s’y arrête autrement qu’en en étant scandalisé et qu’en montrant l’impossibilité de les mettre en application. Faire comme si c’était encore pensable c’est dans une certaine mesure y montrer une adhésion/contre adhésion, elle même suspecte, au sens d’un doute qui n’exercerait pas sa légitimité. Il ne s’agit donc pas de porter un jugement moral mais de prendre acte du jugement d’existence que ces deux mesures impliquent. C’est à dire de porter librement une réflexion critique, éthique.
Osons également ne pas tomber dans le piège qui consisterait à affirmer une continuité entre ces interdits déambulatoires et la prévention précoce des troubles du comportement. Ou encore comme cela été prévu en Grande Bretagne entre les grossesses précoces et une éducation précoce insuffisante et nécessaire à la sexualité. Même si pour certains raccourcis valent identité.
D’abord et pour dire,
Chaque nouvelle affaire criminelle apporte avec elle son taux de scandale et d’inquiétudes. Il est plus aisé de se scandaliser ou d’être scandalisé que de concevoir et de pratiquer une réflexion critique permanente sur les dispositifs qui en isolant un individu pour ce qu’il a commis de répréhensible devrait dans le même temps lui garantir un droit fondamental, d’intégrité psychique et corporelle.
On sait le lien étroit entre telle ou telle affaire criminelle et les agencements renouvelés de lois et de mesures. Comment serait-ce autrement si l’on accepte de considérer que chacun est à même d’apprendre de ses erreurs. Cela aussi est, ou devrait être un droit fondamental. Jusqu’à quel point et avec quel soutien ?
Le problème est sans nul doute que dans la balance l’un des plateaux penche plus que l’autre. Que des mesures de sécurité des personnes se transforment en mesures sécuritaires dont il n’est pas démontré qu’elles constituent un changement dans le regard critique que nous avons à porter sur de tells évènements.
Il est inexact de dire et d’affirmer que toute société a les maux qu’elle mérite ; plus sûr de penser qu’elle suscite les maux dont elle est l’objet dans la mesure où ses avancées comme se reculs désignent implicitement des cibles et des espaces de manquements.
C’est dans ce contexte que l’on est à même de penser qu’à trop miser sur l’éloignement et l’évitement physique des personnes à risque, que l’usage désigne comme dangereuses, un enchainement se crée : on ne peut pas dire qu’il puisse se maitriser sans concours extérieurs.
Dans les décennies qui sont les nôtres, plus visibles que dans d’autres à bas moyen de communication, une alternance permanente structure et organise des dispositifs et des montages sociaux esquissant des au-delà, des pertes de libertés, des mutilations. Des comportements coercitifs se transportent d’une époque à l’autre, d’un pays et d’une culture à l’autre sans que l’on soit à même de dire qu’il s’agisse de la même chose. Et cela est particulièrement évident dès lors que l’on aborde la question des réponses coercitives à des comportements qui font de la sexualité un champ de règlements de conflits qui viennent d’ailleurs.
La mutilation de l’exercice de la sexualité peine et entière en est un objet particulièrement démonstratif : de vengeance à punition, en passant par des privations, des mesures de dureté, en proposant des aides aux changements non sans oublier les étayages thérapeutiques.
C’est dans le champ des espaces corporels que se profilent des mesures que les espaces d’enfermements ne peuvent plus contenir. Par un curieux renversement de l’histoire ce qui semblait acquis et pouvoir persister est en cours de déchainement ou de dé-liaison. Et il serait absurde de penser qu’il n’y a pas là un résultat d’un jeu concurrentiel d’opinions qui ne tiennent ni une quelconque gauche ou droite politique comme nous avons coutume de désigner un manichéisme idéologique qui ne parvient qu’avec difficulté à contenir ses hémorragies.
Des déplacements dans les champs de coercition.
La prison républicaine pouvait constituer une unité absolue de mesure de la peine ; la privation de la liberté et des libertés était le juste pendant de l’affirmation égalitaire fondant un espace démocratique et républicain : égalité, fraternité et liberté. Une prison, un emprisonnement égal pour tous. Dans cette peine il y avait certainement l’illusion d’une juste mesure, d’un idéalisme pénal qui en venait à mépriser les conditions les plus inhumaines de la détention et de la contrainte par corps.
La réforme des prisons ne date pas d’hier et les réformes pénitentiaires ne peuvent se soutenir que de l’exercice critique d’un droit pour une égalité d’accès des droits et des moyens : faute de quoi les vœux restent pieux et ne s’inquiètent nullement de pouvoir être répétées comme l’est le nouvel an.
Faute de quoi se perdent de vue les utopies qui viennent soutenir telle ou telle « prescription » pénale et peuvent se décliner, à la manière d’un inventaire à la Prévert, des méthodes de coercition dont il faut bien tenter de lever l’ambigüité. En cessant de penser urgence et de rester dans une dimension pratico-pratique ; laquelle est quand elle est invoquée, la méthode la moins excusable et la plus tentaculaire des régimes ou des pouvoirs sectaires. On sait qu’une version plus soft est de dire « on a le droit à expérience » ou encore c’est une mesure provisoire à faire dans l’urgence ».
Considérons à partir de ceci les méthodes et préconisations pénales contemporaines, objets de discussion et observons les espaces intentionnels qu’elles remplissent. Appliquant à la lettre le principe selon lequel « tout peut se discuter », ou encore « tout le monde a droit d’avoir ses opinions. »
Les stratégies pénales en cours et en discussions ont ceci de particulier qu’elles parlent essentiellement du lieu même de l’infraction ou du crime. Des lieux sont pris comme entités en soi, quasi mécanique ou biologiques dotés d’une totale absence de réflexivité. La main tue, le pénis effracte … et c’est de ce lieu que peuvent être imaginées, (rêvées ?) des moyens de résolution. Au demeurant les auteurs d’agressions, sexuelles ou non, disent aussi que leur main s’est trompée de chemin.
D’une certaine manière et dit autrement c’est l’ombre de l’objet menaçant qui se trouve au centre des la problématique pénale.
Et cela, au moins de quatre manières, oscillant entre orthopédies, mutilations, stérilisations, isolement…. dressant les plans d’une stratégie à la Klausewicht : armement, traçabilité, surveillance aux frontières, ennemi de l’intérieur.
Un travail sur la performance
1- Considérant le pénis en érection comme une arme qui n’a rien à voir avec un quelconque système pulsionnel et n’étant doté que d’une biogénèse, au pire d’une psychogénèse qui laisse quelques traces, sa castration en devient légitime : une arme par procuration, on peut en priver son propriétaire, comme de la carabine lors d’un accident de chasse ou de la voiture dans la délinquance routière. La proposition de loi de B. Debré en 2007 allait tout à fait dans ce sens, la prescription d’une « castration chimique et la remise en cause de toute espèce de volontariat. Il suffit que faire des analyses en continu pour s’assurer que ce qui ne peut pas s’appeler traitement, soit suivi.
Ce qui fait que la langue fourche de façon continue entre une castration chimique ou physique et une thérapie hormonale, laquelle on le sait est sous influence psychique. C’est de fait à la médecine vétérinaire que l’on demande d’intervenir. On ne fait pas mieux dans les prisons américaines lors des exécutions de la peine de mort.
De la même manière cette arme par destination peut se soutenir d’un viagra, tigra… ou assimilé ; c’est cette conception dont use le médecin généraliste de Evrard pour justifier sa prescription. Un patient comme un autre, sans histoire autre que celle d’une turgescence déficiente, et qui souhaite en faire une autre… histoire.
Afin de ne pas faire de contre performance, les sportifs sous EPO ou assimilés ne font pas autre chose. Le snipper peut de la même manière améliorer sa vision nocturne.
Dans un autre temps on avait proposé et mis en œuvre la lobotomie. Ou encore, pratiqué la stérilisation.
D’autres cultures à haute tradition vont couper la main (du voleur ou du parjure) ou les pieds…. En n’oubliant pas que dans ces temps là, il s’agissait de mesure punitive et non de mesure de sureté. Que l’on propose aujourd’hui une castration de la tète: le formalisme cynique atteint là son plus haut niveau dans une spéculation sur la mécanique du vivant.
2- la surveillance électronique est un autre procédé, par bracelet à domicile ou par GPS. Il suffit de s’assurer d’une ligne téléphonique et d’une capture suffisante des ondes. De procéder à des typographies ou de tenir un emploi du temps. Que les problèmes d’un détenu libre et contraint dans ses mouvements soient d’une toute autre nature que l’impossibilité de circulation d’un détenu détenu dans un espace de privation de libertés ne posant en soi aucun problème « technique ».
Par ailleurs il est prévu(Le Monde 4 nov. 2009) un projet de loi prévoyant que « quelqu’un qui a commis une agression sexuelle sera, à sa sortie de prison, automatiquement interdit de séjour dans les lieux où travaille où habite sa victime. L’autre objectif est d’assurer le suivi médical… par des traitements inhibiteurs de la libido, en prison mais aussi après la sortie… je propose que cette logique (perte du bénéfice de la remise de peine en cas de non suivi du traitement médical en détention) s’applique aux condamnés astreints à un suivi une fois libérés : ceux qui ne respectent pas leurs obligations médicales seront réincarcérés pour un non respect de leur obligation de soin ».
Un travail sur l’environnement à disposition.
- la prévention du suicide : ne fournir que des objets qui ne permettent pas la pendaison, (des draps en papier, des habits de papier…) que proposer que des conditions d’environnement qui n’autorise pas le cumul d’anxiolytique ou d’anti dépresseur (voir un geste s’exécuter).
- ou encore faire d’un compagnon de cellule, un référent, sachant que ce même référent n’est apriori doté que d’un pouvoir d’avertissement… et comment pourrait-il en être autrement ?
Une mise à disposition d’armes défensives.
- un téléphone et un numéro spécial pour les femmes en risque d’être l’objet de violences conjugales, ex conjugales. Ex pacsées ou ex concubines
- des interdictions d’approcher l’ex- : qui portera le bracelet qui fera sonnerie et alerte ?
- et pourquoi pas des bombes anti personnelles ?
Tant et si bien que dans le paysage en cours se dessine deux espèces de mesures toujours soutenues par des techniques d’évitement. Ce qui en fait le défaut se dessine en creux : ce dont on ne parle pas, sinon sous la forme récompense/punition. Plus tu gagnes du temps, moins tu en perds. Il faut choisir, la bourse ou la vie !
1. Le droit de disparaitre ne fait l’objet d’aucune préconisation.
Pas encore. Ni du coté détenu ni du coté victime. Considérons cependant le nombre élevé des suicides en détention, les processus auto destructeurs et insolents des victimes d’affaires pénales.
Même s’il ne s’agit pas de conclure,
Dans la mesure où l’histoire ne s’arrête jamais et que du moins s’ordonne sinon le pire comme le plus, entre triomphe et malaise, des enjeux sont immédiatement apparents, tout aussi économiques que de distribution/ redistribution des enjeux professionnels et des environnements académiques ou disciplinaires.
- Triomphe du droit pénal et de la médecine vétérinaire
Montage techniques, du corps comme un outil et d’autrui comme moyen | Montages sociaux, les environnements, éphémères et durables | Montages psychologiques, de l’autre et de moi même comme subjectivité et histoire |
En plus ou en moins | En plus ou en moins | En plus ou en moins |
Médecine biologie, chirurgie | Surveillances, isolements, objets à disposition | Pénurie de professionnels d’accompagnement, absence de formation spécialisée, absence d’engagements stratégiques |
- Malaise de la psychiatrie et de la psychologie : là où il faut du temps, d’une part, ( et l’on en manque toujours dans une composition collective qui fait du temps un manque à gagner), là où il faut des assurances à risque zéro et pour lesquelles on va payer le prix fort : comme il n’est plus admissible de couper les têtes on peut toujours enfermer à vie ceux qui dans leur égarement ( qui n’a rien à voir avec la folie) ont fait tomber celles d’un ou des autres.
Le plus grand des problèmes est sans aucun doute qu’en ne se fiant aux travailleurs du psy- qu’à la condition d’en entretenir la défiance c’est tout un pan de la justice au quotidien, celle des exécutions de peines, qui risque également de disparaitre dans son œuvre la plus novatrice.
Pour terminer sur l’inactuel,
Il est difficile de ne pas faite allusion à une préconisation qui date de 54 ans, à lire dans l’ouvrage de Ernest Seelig, Traité de criminologie, PUF, paru aux PUF en 1956 et en version originale en Allemagne en 1955. Dans le chapitre sur la prévention des crimes, sous titre la prévention de l’accomplissement du crime.
Un tel chapitre inaugure ce qui sera plus tard la dissuasion situationnelle, la prévention situationnelle. Il énumère :
1- informer et avertir la population de façon systématique des possibilités d’agression, ce qui permet de diminuer le nombre des victimes en puissance,
2- l’équipement en armes défensives des individus particulièrement exposés de par leur métier, en objets défensifs non dangereux mais efficaces ;
3- la protection contre l’effraction des locaux commerciaux ..mesure de sécurité mécaniques ou installation de dispositifs d’alarme électrique ;
4- la protection contre le vol trop facile de voitures, de motocyclettes et de bicyclettes par des mécanismes de fermeture, décrochage du volant etc., ou par la surveillance des pars à voiture ;
5- la surveillance des locaux particulièrement exposés et d’objets.par la police secrète des détectives privés ou par les agents d’une entreprise de surveillance ;
6-l’installation de trésors de nuits dans les banques ou les commerçants peuvent déposer leurs bénéfices journaliers… ;
7- la surveillance nocturne de quartiers isolés, de par et autres par les rondes d’agents de police… ;
8-l’emploi d’agents d’assistance ( au lieu de policiers) pour sévir contre les ivrognes,( ce qui évitera les insultes et opposition à l’autorité…et ne pourra donner lieu à un délit.. »
Et,
9- le port obligatoire de vêtement de sureté pour les exhibitionnistes qui essaient honnêtement de lutter contre leur impulsion et ne font que succomber à un désir momentané ; ce moyen est inefficace chez d’autres qui le cas échéant sortent sans vêtements de sureté.( ce vêtement est fait d’un pantalon sans bouton montant très haut avec des bretelles croisées de telle sorte que pour la baisser il faut d’abord enlever la veste »)
Il est vrai aussi que dit l’auteur, dans les cas les plus dangereux de criminels manquant de frein sexuel…on peu essayer différents traitements médicaux… dans les cas tenaces… on ne peut pallier à cet état dangereux que par la castration, avec l’assentiment du patient ou de son tuteur… avec la disparition des peines corporelles dans notre culture la castration a disparu en tant que mesure punitive et ce n’est que depuis le début du siècle que l’on s’y intéresse de nouveau en tant que mesure de sécurité » les résultats sont d’autant meilleurs que l’opéré apporte plus de volonté de guérison », p.387. « Mais des récidives sont possibles ; de tels cas ne se prêtent pas à la castration thérapeutique »
Faut-il encore ajouter ceci concernant les mesures eugéniques (p.397) du fait du caractère inné du complexe des tendances criminogènes de la plupart des criminels il y a lieu d’examiner, comme dernière possibilité prophylactique contre le crime, la question à savoir s’il est possible d’éviter la venue au monde d’hommes porteurs de dispositions criminogènes. Ce n’est que lorsqu’on peut porter ave certitude le pronostic du complexe de tendances criminogènes chez tous les descendants d’un homme déterminé que l’on pourrait envisager d’éviter l’apparition d’une telle descendance par la stérilisation de l’homme en question ( ou- après le conception- par l’interruption de la grossesse)… et de poursuivre » la stérilisation d’individus qui souffrent d’une maladie mentale héréditaire, d’imbécillité congénitale ou d’une psychopathie grave est une mesure médicale en vue de l’amélioration de la santé publique »… pour conclure qu’un pronostic forme de descendance criminelle n’est pas possible. C’est la complexité qui détermine la « disposition » au crime qui fait que l’on ne saurait éviter cette dernière par des mesures eugéniques.
A suivre….. On l’aura compris, il ne s’agit plus de juger mais de tendre à amoindrir le risque de récidive criminelle. Le problème devient technique et c’est certainement là où les sciences de l’homme ont le plus à dire.