La Compulsion de punir 

Tony Ferri publiait en 2015 « la Compulsion de punir ». Il m’en avait demandé une post face, confiant la Préface à R. Schérer qui avait écrit « La fin d’une illusion ».

Je lui avais répondu sous forme de deux textes, l’un sur un Pari, l‘autre sur sa composition. Ce sont ces deux textes qui sont présentés, ci-dessous.

Tony Ferri, La compulsion de punir, L’Harmattan, 2015. Tony Ferri La compulsion du punir, post face, fin

Un pari : la peine à la recherche de rationalités anti compulsives.

Le travail de T. Ferri illustre et est exemplaire de cette suite incessante de recherches sur les intentions organisatrices de la peine et des acteurs de la peine. La peine est vue du côté de celui qui la donne, l’exerce et parfois, peu, du côté de celui qui la subit. La peine est rarement vue du point de vue de ce qu’elle exige, selon une formule qui pourrait s’écrire ainsi, que veut la peine ? Et si la peine elle-même était intentionnalité, qu’elle pouvait vouloir pour elle-même, en toute autonomie ? Un mouvement qui échapperait à son créateur ? Un mouvement compulsif analogue à ce qui nous fait toujours rechercher le « qui est responsable », quel que soit l’incident, au titre des exigences d’une une société assurantielle sans doute, mais plus au-delà encore. Ce que veut punir chez chacun et non seulement ce que ça veut dire. Cruauté du punir, incommensurable, qui s’énumère en peines toujours plus inventives.

Trouver une légitimité consensuelle. Dans la mesure où elle ne va pas, ou trop, de soi elle est toujours et encore plus, à légitimer. La peine n’aurait de cesse, honteuse ou trip fière, de chercher sa légitimité ? Pour autant qu’elle puisse aller de soi elle a besoin de démontrer son droit pour qu’on puisse l’imaginer innocente. Des philosophies de la peine ont été écrites et s’offrent en bonne conscience et en catalogues d’intentions. Un colloque y avait été consacré à Agen en 2000, sous un titre aux allures de philosophie juridique. Un écho se faisait entendre en 2004 dans l’ouvrage Il n’y a pas de juste peine

Au nom d’une entité. On peut comprendre que le problème a priori est celui de l’autorisation à punir, de son origine et de celui qui l’exerce, l’accompagne et y met fin, et bien en deçà de ce que peine veut dire dès lors qu’une sanction a rappelé les normes et les écarts intolérables. Tout cela dans le droit fil d’une dotation supposée en chacun, d’une conscience morale que seule la pathologie mentale (scientifiquement rationalisée par l’expertise psychiatrique) déferait. Conscience morale qui est peu comme l’invention de l’intelligence et de la métrique qui l’accompagne. Il est évident que l’on peut toujours en avoir, plus ou moins, ou très peu.

Mettre du désordre. A ce prix, un tableau presque parfait du fait judiciarisable et de la peine spécifique pourrait se projeter en profils si l’on admet pour la peine une opérativité spécifique; tel acte telle peine, à la manière dont l’ergonome traite de l’outil et de son utilisateur, son usager. Qui prescrit (adapte/adopte) et pourquoi ?

On conçoit aisément qu’il ne s’agit pas d’un même monde quand il est demandé à l’usager de s’adapter à l’outil ou lorsque c’est celui-ci constitue une orthèse pour l’usager. L‘usager du premier est un consommateur, dans le second il est transformé par les possibilités offertes, découvertes, qu’il ignorait posséder, qu’il peut-pourrait, trouver/créer. Certes dans les deux cas l’usager peut s’inventer à partir de ce qui lui est assigné mais il est plus évident que dans le premier cas on dira qu’il se normalise, dans le second qu’il apprend et invente ce qui est possible avec ce qui lui est prescrit, quitte à ne pas se normaliser selon un mode commun.

Dans le champ pénal probatoire on peut y reconnaitre deux grands modèles contemporains qui, même s’ils se sont modifiés avec l’expérience, s’attaquent pour l’un, frontalement aux symptômes(RNR) et l’autre qui passant par des besoins (GLM, des auto références existentielles), reconnait, par expérience, que rien n’est possible sans le fait de tenir compte de l’estime de soi/estime des autres, des réseaux, des institutions et des relations permettant de retrouver une histoire ( à son insu ce qui a été un projet) dans les histoires plus ou moins chaotiques de chacun.

Comment organiser la résistance au mouvement obsessionnel du punir destructeur.

Sanction et peine, une double axialité, quatre pôles. C’est par un raccourci désastreux au plan de la réflexion et des prospectives que parlant de la peine pénale l’on ne mentionne pas suffisamment qu’il s’agit de sanction pénale. La sanction n’est pas la peine ; celle-là se découvre dans bien d’autres espaces sociaux sans emprunter à la loi ses modes d’existence (domestique, entreprise, scolaire, etc.). Qui occulte la sanction n’est plus qu’un tortionnaire.

On ne peut oublier les deux faces de la sanction. Le punir en est l’une d’entre elles et vise à s’opposer, invalider, rejeter, l’autre tend à renforcer un état acquis, méritant. Approbation et désapprobation sont les deux faces d’un même ensemble; faces qui ne peuvent se cliver sans dommages plus ou moins irréparables. Par exemple quand une désapprobation devient un mode d’entrée dans un temps social et relationnel désirable, un rite d’initiation dans l’espace de la délinquance ou de la criminalité. Ou encore quand une sanction/désapprobation n’appelle pas de peine : responsable mais pas coupable.

Comment définir la sanction ? Elle est le signe distinctif d’un écart à la norme. Elle traite de la différence et de l’étranger. Elle prend sens de ce qui est refusé au titre de la loi, des règles, des usages ou des coutumes. Elle est d’abord le traitement d’un double malaise (l’angoisse, telle qu’elle est rapportée par Tony Ferri) : elle témoigne de cet évitement propre à chacun devant ce qui ne lui est pas familier et déroge par trop à ses représentations sécurisées, anticipées de monde. La sanction témoigne de l’existence de normes suffisamment consensuelles pour qu’elles puissent se penser d’évidence, aller de soi, ou encore s’expliquer et se commenter avec sécurité et confiance. Elle dit la fiabilité d’un monde corrigé.

La sanction dans sa double face, dans ses perspectives dimensionnelles est une analyse quasi expérimentale de la proxémie. L’écart à la norme renvoie aux dimensions de l’étranger et du familier. Ces dimensions ne s’entendent bien que par ce qui fait territoire et intégrité. Territoire toujours exposé et qui requiert une bonne distance, une marge de sécurité, pour tout un chacun qui cherche à y entrer, s’y faire inviter, ou en force les limites. En ce sens la sanction requiert dans sa face positive que soit renouvelée une affiliation (les mérites) ou un dédommagement(les réparations). Et sur sa face réprobation elle court toujours le risque de n’être pas conçue comme un juste recours (une vengeance) ou d’être un trop payer (une dette inéquitable). La sanction est un pari sur la réduction de l’incertitude née d’une composition marginale, illégale, ou encore plus généralement, au-delà de la norme : dépassement infractionnel ou dépassement héroïque.

Que devient la peine ? Elle est la valeur négative attribuée à cet écart, à cette différence. Ecart dont un code, le code pénal dit les formes et l’intensité. La peine traite de la naturalisation de ce qui est intolérable et que l‘imaginaire de chacun soumet aux hypothèses d’une pathologie mentale (il est fou) ou d’une inhumanité (c’est un monstre) d’une amoralité (il ne pense qu’à lui)…

Mais, le dire ainsi ne suffit pas si l’on considère que les deux faces de la peine (punir et promouvoir) non seulement coexistent mais s’échangent régulièrement leur propres savoirs, se contaminent ou deviennent lieu d’extrapolations. Les peines de probation dans le fond ne disent rien d’autre et c‘est même ce qui en fut à l’origine des états de mises à l’épreuve aux USA au XIXe.

Il y a des conditions qui permettent de favoriser et de renforcer une promotion de soi-même, des états de transformation qui faisant échec au maintien d’un état délinquantiel ou criminel, de proposer éventuellement des formes de déviances non criminelles. Dans ce contexte le dolosif (ce qui fait mal au mal en passant par la médiation d’un sujet) n’est pas seulement un fait de répression ; il est essentiel au processus mal nommé ou ambigu, de réhabilitation, de se donner d’autres droits. Le dolosif ne nait pas de l’homme dans une volonté (éventuellement) perverse ; il est inhérent au fait même de désirer. Dans cette distinction se teste le grand écart entre ce qu’est l’individualisation de peines et la personnalisation de la sanction pénale. Dans la première il s’agit d’un essai de tenir compte d’un acte criminel dans l’ensemble des actes criminels d’un collectif ou d’une trajectoire délinquante (ce qui permettrait de définir des profils à peine spécifique). Dans le second cas il s’agit se rendre à une autre évidence : un agir criminel prend sens d’une histoire globale qui ne se réduit pas à des évènements socialement repérables (accidentologie évènementielle ou chronique), d’un contexte et d’une personne dans un contexte.

Et c’est là que se montre les insuffisances des sociologies quantitatives de gouvernance qui créant des types de délinquances à partir des modes d’entrées( initiatiques, pathologiques, d’exclusion) propose des modes d’emplois de ceux-ci en vue de leur résorption, sans considération de leur émergence personnelle ; le symptôme en est qu’il est alors parlé de carrière criminelle, de comportements et non pas de pratiques de soi, des autres et du monde, par exemple, empruntées aux possibilités anthropologiques. Prévenir et traiter une carrière s’offre comme prescriptions aux pouvoirs publics mais de la personne elle-même, en tant que construction subjective, il est difficile d’en trouver trace. Dans les temps de l’anthropologie criminelle le mode d’entrée typologique était fait de la capacité d’amendabilité ou non des criminels. Des modes d ‘entée aux modes de sortie il n’y a qu’une différence disciplinaire mais toujours pas de personne.

Chacun est une construction, assumable ou non. Il est fabriqué de ces réactions de l’environnement total, personnel, social et familial hétérogènes ; dans tous les cas il ne peut que faire avec, sauf à définitivement s’absenter (en perdre la vie) ou renoncer à désirer autre chose (il n’y a plus alors de manque et tout devient équivalent). Ce n’est pas là faire preuve de commisération (prendre en pitié ou selon une autre formule, tout excuser) mais considérer qu’il faut en tenir compte dans les propositions et dispositifs de sanction pénale. L’injonction, assumes, est trop moralisante pour avoir quelqu ’effet rédempteur ou de désistance.

Si l’on admet que l’éthique est à la morale ce qu’est l’ontique à la déontologie, le monde commun suppose l’exercice permanent de ces dialectiques qui vont des codes (morale et déontologie) à ce qui les permet (éthique et ontique), des performances aux instances. C’est en ce sens que l’on peut définir le travail psycho-pénal supposé dans la sanction pénale : un travail de subjectivation aux voies multiples et dont la fonction est de mettre en expérience, de faire expérience.

Tout du sujet ou de la personne et par lui, renvoie à des contextes sociétaux spécifiques, tout renvoie à des apprentissages et acquisitions, tout renvoie à des modalités et possibilités anthropologiques déjà là. Quand il ne s’agit plus de dire, à propos d’un agir criminel, pourquoi mais comment cela s’est fait, la responsabilité peut se poser sur le mode d’un avoir pu se laisser aller à être…, d’une démission et d’une décision.

Cette possibilité d’assumer, de se rendre à… ne renvoie pas à une énigmatique origine (dégénérescence, constitution, thèses sociologiques ou psychologiques etc.) dont la décidabilité univoque est bien illusoire. C’est ce qui s’est incorporé dans des formes délinquantes qui offrent à la réflexion les éléments structurels par lesquels une subversion, promotionnelle, est possible et se découvre une issue aux compulsions du punir comme aux pulsions compassionnelles.

Projets anthropologiques et sanction pénale

La sanction pénale : le produit d’un traitement diagnostic spécifique

D’où vient le diagnostic pénal ? D’une théorie du lien social ? De la connaissance personnelle ou de corps de métier des effets d’une peine ou d’une mesure ?

Considérons que la sanction pénale est une œuvre diagnostique et qu’en tant que telle est une démarche dont on attend des effets spécifiques, à la condition que les prescriptions soient effectives.

A quoi/à qui, la sanction pénale s’adresse-t-elle ?

Un sujet parmi d’autres sujets. L’efficacité que l’on en attend s’ordonne et se lit à deux niveaux. Si les rationalités opératoires de la justice rétributive ont pu énumérer des fonctions (élimination, intimidation, réadaptation…) bien au-delà, comme le soulignait F. Gros, parler du punir dans son exercice désigne, identifie des sujets singuliers, projets anthropologiques. Pour le sujet moral il est exigé des indemnités, tel qu’il puisse et doive expier, dans le rappel de la loi. Pour le sujet acteur social s’il convient de protéger la société c’est au prix d’un retranchement de cet acteur du monde commun, en ne négligeant pas le cout économique que cela représente. Mais si punir est éduquer c’est admettre que l’éducation telle que donnée n’a pas réussi et qu’il convient, en conséquences, de remettre en question les acquis en insistant sur ce l’on peut désigner comme étant une individualité psychologique; apprendre c’est débattre et se débattre avec un problème. Une rationalité éducative est alors considérée comme remédiation possible.

Et enfin si ce projet anthropologique s’entend, au-delà du sujet moral, social, ou individuel, dans une compétence éthique, la transformation attendue passe par ce qui rapproche chaque sujet, l’un de l’autre : la capacité à ressentir empathiquement la différence et l’objet en est l’altérité. La médiation est alors celle du dispositif thérapeutique et du transfert, l’objet se fait des échanges symboliques. Et dans ce cas soulignerait F. Gros, si tout délit est une effraction/intrusion, juger n’est pas réconcilier mais restaurer une distance. Une forme symétrique émerge : si le délinquant apprend le code pénal par ses illégalités commises, ici l’illégalisme est une source d’apprentissage de l’altérité, soutenue par le droit, bordée aux marges par le droit.

Le dire ainsi c’est proposer une distribution des rôles dans les temps de la sanction pénale, disposer de professionnels en capacité de faire appel au moins, à quatre interrogations essentielles, quatre prescriptions. Ainsi donc la sanction pénale en tenant sa légitimité de quatre sites anthropologiques distincts offerts à la sagacité du magistrat et des services pénitentiaires d’insertion et de probation, se tient dans un espace social pluriel aux compétences et ressources hétérogènes. Au point que l’on puisse soutenir que l’orientation et le traitement de la sanction pénale passé par quatre cliniques référentielles : judicaire, éducative, thérapeutique et médicale.

Un énoncé organisateur. L’énoncé qui clôt le procès ouvre, sur le mode d’un ne sois plus…sois autrement, un ensemble de dispositifs d’applications : des orientations et des traitements qui vont être pris en charge dans une organisation de suivis de l’effectivité et des transformations exigées. Ce sont les services à l’œuvre (les différents services de l’administration pénitentiaire) qui conduisent les rationalités empiriques de la sanction pénale. Leur œuvre en passant par le suivi de l’effectivité repose sur une définition de l’efficacité : qu’est ce qui peur promouvoir un changement chez cette personne là… dans son existence totale.

Restent les pratiques de la sanction pénale, les mises en œuvre. S’ouvre ici la dimension des experts qu’ils soient psychologues, psychiatres, travailleurs sociaux ou CPIP, dimension d’un qu’est-ce qui marche le mieux. Et l’on constatera que faute d’avoir suffisamment interpelé les praticiens sur l’expérience de leurs pratiques, la littérature est pauvre. Peu de modèles font guides à la solitude éprouvée. Ou ira- t-on chercher par exemple, non un manuel des bonnes pratiques (déontologie/morale), mais un manuel de découvertes des pratiques que chacun doit s’inventer pour être crédible, fiable, efficace et cohérent (éthique/ontique) ?

Ne pas se tromper de priorité. La résistance à la compulsion du punir est souvent présente politiquement par les lobbyings anti sécuritaires dénonçant l’invention frénétique de nouveaux délits sur la base d’une identification non critique, plus intense, aux victimes et ravalant la personne de l’infracteur aux comportements qu’il a produit. Si cette réaffirmation démesurée de la norme engendre une valeur folle et non négociable elle dit aussi le souci politique du maintien ou de la sauvegarde des normes en questions, sur la base d’un vivre ensemble fiable et sécurisé.

L’ouvrage de Tony Ferri s’appuie sur un autre objet et une autre démonstration. La sévérité du punir, son obsession, son mouvement compulsif et ses formes démultipliées tiennent à l’évitement massif et quasi phobique de ce qui ferait péril en la demeure; cette emprise du punir est un sauve qui peut. Passer cette étrange inquiétude, lot de tout un chacun, une autre rationalité se laisse voir dans une phénoménologie de la sanction pénale dans ses pratiques ordinaires, au plus près de l’espace de la pensée criminologique, en sciences humaines cliniques au-delà des politiques disciplinaires réductrices.

Faisons un pari : lorsque la peine aura retrouvé la sanction s ‘estomperont les ressentiments aveugles et massifs et le sadisme à peine masqué du punir. Ce n’est pas pour demain… et cependant d’autres chemins s’ouvrent, telles les pratiques de justice restaurative à la condition de ne pas confondre vouloir savoir et pardonner, réparation et désendettement… de renoncer à l’illusion de pouvoir effacer le passé.

Pr. Loick-M Villerbu, émérite, janvier 2015, ICSH/CIAPHS, Rennes 2/Paris 7

Caractères 17343

Postface du professeur Loïck-M. Villerbu (p. 105)

Tony Ferri rappelle, dans le premier chapitre, le caractère ontologique de l’angoisse. L’angoisse d’exister, de Kierkegaard à Schopenhauer à Sartre, c’est savoir qu’on est sans savoir pourquoi on est (p. 22). Pour l’existentialisme il n’y a pas plus de raison d’être à la mort qu’à la naissance. Pour le Dr Hesnard, « toute angoisse est angoisse de faute et de punition » et le pendant du sentiment d’angoisse est celui de la mauvaise conscience. La compulsion de punir se définit par « l’obsession irrationnelle de faire de la peine, la tendance irrépressible, quasi pathologique ou pulsionnelle, à condamner, à mortifier, à avilir son semblable, l’expression d’un désir malheureux englué visant à s’épancher dans la morbidité du punitif et, au fond, la traduction de l’insuffisance constitutionnelle du moi » (p. 30). Or il ne saurait y avoir de fondement ultime, en tout cas humain, du droit de punir.

Le punisseur se donne bonne conscience et se déresponsabilise de punir en se réfugiant derrière la loi, le code, le système pénal, derrière la défense sociale, la notion de dangerosité, de psychiatrisation des procédures, derrière les mécanismes de modulation de la peine et derrière les peines de substitution (p. 33). La justice pénale se décharge partiellement de la responsabilité de punir en s’en remettant à d’autres structures ou instances et en leur délégant une partie de l’application des peines. Pour l’auteur, le système pénal ne traite pas la cause de la délinquance mais répond aux « effets des effets » de la délinquance. La loi n’intervient pénalement que pour punir et avilir le délinquant par les effets de l’incarcération, du casier judiciaire, etc., et non pas pour instaurer des mesures de prévention de la délinquance ou protéger les gens de la tentation délinquantielle. Dans ce contexte où la délinquance se recrute dans des situations de misère, la prison ne fait qu’ajouter de la souffrance à une autre souffrance (p. 35).

L’auteur de La compulsion de punir le martèle, on ne naît pas délinquant, on le devient. Le système pénal ne croit pas en son innocence de punir mais il a besoin d’y croire pour son exercice. Ce n’est pas l’intérêt général qui prime, mais le maintien d’un ordre favorable aux dominants. Le système punitif exerce une « sorte de profanation de l’intimité du sujet » (p. 38), mais paradoxalement le système pénal ne cherche pas à comprendre « véritablement le dedans de l’individu ». Les condamnés se considèrent comme « inaudibles » de leur arrestation à leur condamnation. Le punisseur parle de l’accusé mais il ne s’adresse pas directement à lui. Comme le note Jankélévitch « Un bourreau n’a pas d’interlocuteur, ne s’adresse pas à un partenaire. l’Autre est pour la méchanceté une chose, qu’elle destine à la nihilisation : elle parle peut-être de lui, mais elle ne lui parle pas, à lui » (p. 40). Ce qui donne naissance, d’une part, à une dangerosité pénale susceptible d’entraîner des dérives préjudiciables aux droits des justiciables et, d’autre part, une dangerosité pénitentiaire qui détruit la personnalité des personnes recluses. Et de conclure avec Foucault « si la prison crée le danger, il est juste et légitime de vouloir y échapper » (p. 43).

Dès lors, la notion de dangerosité (dangerosité psychiatrique et dangerosité pénale) apparaît comme une « fiction criminologique » qui revêt une fonction dés-angoissante pour la justice pénale. L’auteur considère l’association du médical et du pénal pour évaluer la dangerosité comme elle-même dangereuse. Au lieu de juger le criminel pour l’acte commis, on le juge pour sa personnalité. On le juge pour ce qu’on soupçonne qu’il pourrait être ou devenir. La loi punit la simple virtualité. La dangerosité donne droit à un supplément de peine. Pour Foucault, la psychiatrie n’a pas plus de légitimité que la justice pénale à se prononcer sur des notions d’accessibilité à la sanction pénale, d’adaptabilité ou de curabilité. Le psychiatre doit répondre à des questions qui n’ont aucun sens juridique. Le psychiatre interroge comme un enquêteur sans s’indigner que les expertisés ne sont pas assistés d’un avocat dans le cadre de l’expertise d’où le malaise des avocats qui ont affaire à deux juges dont ce pseudo-juge qui va moduler la peine et Tony Ferri de conclure que « le psychiatre judiciaire est un auxiliaire de justice ou un policier maquillé en blouse blanche » (p. 48).

La question se pose ensuite, dans le deuxième chapitre de l’ouvrage, de savoir quelle est la méthode qu’il convient d’adopter entre l’approche prédictive (actuarielle) et l’approche situationnelle (clinique). L’auteur reconnaît que les deux méthodes peuvent se combiner et se compléter et qu’elles ont toutes les deux des avantages et des inconvénients, mais qu’investir exclusivement la méthodologie actuarielle comporte un danger de réductionnisme, le danger de réduire l’homme à la chose. Dans la plupart des cas, le jugement ne satisfait ni les victimes ni les condamnés. En effet, la justice pénale ne repose pas sur la compassion. Elle est « un système d’ordre, d’indifférence et d’égoïsme qui favorise l’automaticité des condamnations » et l’oubli de ceux qu’elle condamne (p.54). L’auteur établit un lien entre la compulsion de punir et l’ignorance de l’identité des condamnés. Il insiste sur cette difficulté de se connaître soi-même et de connaître autrui authentiquement, et indique que « jamais un procès ne saurait traduire ce qu’il s’est passé exactement comme ce qu’il s’est passé » (p.57).

La justice pénale apparaît comme un défaut d’amour. Ce qui fait dire à l’auteur de la compulsion de punir que la justice pénale ne conduira jamais à la paix sociale. L’auteur répète cette idée tout au long du livre, les hommes ne sont pas bons ou méchants par nature, ils le sont, tour à tour, en fonction des circonstances (p. 61).

Le dernier et troisième chapitre pose la question du sens de la peine. Et s’il n’y avait pas de sens à la peine ? Il importe de se demander si la peine comporte des dérives et des abus (p. 65). La logique punitive est présentée comme nécessaire. L’objectif est de « redresser et corriger le réfractaire » (p. 66). Or, la punition ne saurait fonctionner positivement car elle fonctionne à circuit fermé. La punition favorise la punition dans une surenchère indéfinie. La punition paraît donc infantile, extravagante et inutile. Enfantine, parce qu’elle s’enracine dans des techniques d’infantilisation. Extravagante, parce-que comme le souligne Nietzsche, elle n’a jamais provoqué la mauvaise conscience et les remords. Parce qu’il y a un rapport d’hétérogénéité entre la punition et l’infraction. Parce que la police et la justice font usage des mêmes méthodes que les délinquants. Parce qu’elle relève de la « morbidité » humaine. Elle fait croire qu’il existe « un équivalent à la faute, une compensation à la dette » (p. 69). La punition repose sur le sadisme, sur « la jouissance d’infliger à autrui sévices et tortures » (p. 70). L’auteur s’interroge sur la pertinence du système punitif et se demande comment sortir de cette logique.

Tony Ferri remarque l’ambivalence de la mesure de placement sous surveillance électronique perçue souvent comme la soustraction à la peine d’emprisonnement. Cette mesure constitue un progrès apparent, mais en réalité n’offre pas une authentique innovation pénale par rapport à l’emprisonnement (p. 72). Cette mesure n’a d’ailleurs pas vidé les prisons. Le placé sous surveillance électronique est considéré comme un détenu, et il est porteur d’un numéro d’écrou et la liberté d’aller et venir, la relation à autrui, le rapport au temps, à l’espace, la relation à l’environnement sont affectés par cette mesure. Comme le résume l’auteur «si le prisonnier voit sa vie déchoir en prison, le placé sous surveillance électronique, lui, voit la prison déchoir dans sa vie » (p. 72).

Le placement sous surveillance électronique, en tant qu’aménagement de peine, c’est-à-dire en tant que mesure alternative à l’incarcération, « est une mesure d’emménagement de l’institution judiciaire au domicile du condamné » (p. 79). Z. Bauman parle d’une « prisonisation » du monde libre (p. 80). Le propre de ce dispositif réside dans une logique de traçabilité. Traçabilité qui est indétectable à autrui. La souffrance pénale, concerne aujourd’hui, dans notre ère de l’hypersurveillance, un grand nombre d’individus et les pénalités contemporaines soumettent les individus « à une forme de surveillance continue ou perpétuelle » (p. 85).

En conclusion, cet essai de Tony Ferri nous paraît un livre nécessaire, un livre qui interroge notre propre responsabilité professionnelle et notre complicité dans cette compulsion de punir du système pénal et nous permet de réfléchir à une pratique plus éthique.

L-M Villerbu

Président de la Société Bretonne de Psycho-Criminologie et Psycho-Victimologie depuis 2015

(Voir Site de la SBPCPB)

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